ETHERVAL 17 : Persona non grata
Sortie le 14 octobre 2020
Notre sélection regroupe les textes de huit écrivains :
- Manu Breysse, pour « Un travail, sinon rien ! »
- Lucie Heiligenstein, pour « La Conjuration de Barsing »
- Jean Bury, pour « Abattez les enfants »
- Lucile Poulain, pour « Le Dieu vagabond »
- Antoine Bernadet, pour « Sang et sève »
- Léo Caretta, pour « Le Gîte et le couvert »
- Certaldi Florentin, pour « L’Outil »
- Brice et Romain Le Roux, pour « Storia »
Ils sont fous, ces Ethervaliens… Réaliser un numéro autour du thème « persona non grata » ? Ces intrus, ces indésirables, ces personnages qui n’ont rien pour eux, avec leurs caractères détestables, leurs manques de manières, leurs verbes hauts ! Qui donc aurait plaisir à les côtoyer, ne serait-ce que lors de quelques pages ? Et que dire de ces pauvres êtres en errance, qui suscitent surtout la compassion, dans ces mondes où ils n’ont pas leur place ? Ce numéro d’Etherval n’est pas destiné à vous faire pleurer devant le malheur de héros incompris, ni de vous donner envie de rabrouer des mécréants. Enfin, peut-être un peu… Mais il vous fera aussi rire, ce qui punira bien ces fats ; trembler pour ces héros affrontant obstacles ou préjugés ; vous émouvoir devant leur courage ou leur destin ; et surtout voyager à travers maints univers !
- Manu Breysse a mis au défi un jeune elfe, en quête de rédemption, d’obtenir Un travail sinon rien !, dans une banque gnome.
- Lucie Heiligenstein nous emporte aux États-Unis, où deux familles de producteurs de coton s’opposent depuis des générations, ce n’est pas une vieille infirmière métisse et teigneuse qui pourra mener seule La Conjuration de Barsing, non ?
- « Abattez les enfants », répétait-on aux armées terriennes de Jean Bury lors d’une guerre de territoire, alors comment devenir un bon père après avoir vécu un tel conflit ?
- Lucile Poulain nous porte dans les pas du Dieu vagabond, quelqu’un au-delà des monts et des rizières le réclame, lui que tous rejettent. Enfin !
- Dans ses veines maudites coulent Sang et sève, il ne doit plus rien aux hommes, n’en déplaise à Antoine Bernadet, son auteur. Alors pourquoi attend-il avec un brin d’impatience la prochaine visite de sa jeune sœur ?
- Oyez, aventuriers en tout genre, Le Gîte et le couvert sont offerts à la taverne de Léo Caretta pour vous remettre des combats. Ou pas…
- Florentin Certaldi nous convaincra-t-il qu’une androïde de bord n’est qu’un simple Outil ? Ou une effroyable pipelette aux programmes de socialisation ?
- Dans Storia, Brice et Romain Le Roux nous font toucher à l’impalpable, celui des lettres et des mots. Pour transformer l’indicible, il suffirait d’une plume et d’un écrivain disponible. Si seulement…
- Catherine Loiseau nous évoque quelques anti-héros et autres persona non grata à travers un article. Hugues Blot nous invite à nous interroger sur la future disparition des auteurs humains au profit des IA créatives. Ravivez vos souvenirs avec l’avis de Didier Reboussin sur La Lagune des Beaux songes, de Hugo Pratt. L’interview de Hermine Lefebvre, auteure de La Chasse Fantôme aux éditions Scrinéo, vous permettra de découvrir cette prometteuse écrivaine aux personnages torturés. Et pour ceux en quête de légèreté, les pages de jeux interactifs signées Pierre Sensfelder, un grand quizz et les redoutées Missives d’Etherval vous attendent.
Un travail, sinon rien!, Manu Breysse
Son téléphone affichait bientôt midi lorsqu’une assistante se présenta devant lui. Voronwë sursauta, il ne l’avait pas vue s’approcher.
Elle portait un tailleur serré et une jupe tombant sous les genoux. La gobeline se tenait droit comme un « i ». Le visage glacial, elle avait trop forcé sur le gris à joues. Ça lui donnait un aspect plus clownesque que professionnel, ce qui faillit arracher à l’elfe une grimace de dégoût, mais il se retint. Il savait se contrôler. Il n’était pas n’importe qui.
— Puis-je vous aider en quoi que ce soit ? Pour les dépôts ou les retraits d’argent, c’est le comptoir de gauche. À droite, c’est pour…
— Je viens pour l’annonce, rectifia-t-il en s’apercevant que l’hôtesse se méprenait.
— Pour l’annonce ? répéta-t-elle, sans comprendre.
— Oui, celle que vous avez mise en ligne, concernant les postes d’assistant comptable, dit-il en la montrant sur son smartphone.
La Conjuration de Barsing, Lucie Heiligenstein
À Barsing, Pearlette réussissait depuis presque soixante ans à être considérée, d’emblée, comme une indésirable par les Noirs comme par les Blancs. Elle portait sur son corps la marque d’un ancêtre blanc, qui s’était fait oublier. Au fil des années, les gens du village avaient toutefois fini par s’y habituer. C’était autre chose qui la maintenait à l’écart des autres, et l’empêchait de tisser des liens avec quiconque. Quelque chose qu’elle-même tentait d’ignorer mais qui était là, en elle, comme une force tapie dans l’ombre.
Elle n’avait jamais cherché à se faire accepter, ni à se faire aimer, pas même à travers son métier. Et cela avait un effet de repoussoir sur toute la communauté.
— Je suis l’infirmière envoyée par l’hôpital, déclara-t-elle. Je remplace Mrs Clarke.
— Mais… personne ne nous a prévenus, balbutia la domestique.
Pearlette saisit ses deux sacs avec détermination et son interlocutrice recula légèrement. La nouvelle arrivante franchit le seuil.
— Mademoiselle, enfin ! Ma collègue est partie à la retraite. Il faut bien que quelqu’un prenne sa place. Mrs Singleton ne peut pas rester sans soins, à son âge.
Abattez les enfants, Jean Bury
I— Et vous êtes équipés pour les analyses de sang, ici ?
— Non, bien sûr, mais nous avons transmis l’échantillon par instatube à un laboratoire. On aura les résultats d’ici quelques min…
Dargant n’écouta pas la fin de la phrase et se tourna vers son fils.
— Essaie de remettre ta chaussure, griffon, on y va.
Avant que l’entraîneur ou l’infirmière n’aient eu le temps de réagir, le jeune garçon descendit du lit d’examen, aussi obéissant qu’un enfant de troupe en revue de casernement.
— Une seconde, monsieur Dargant ! fit le professeur. Nous n’avons même pas reçu l’ordonnance, ni ses béquilles ! Il faut attendre que…
— Ne vous en faites pas, le coupa l’ouvrier, sans brutalité, mais ferme. Je me suis toujours bien occupé de mon fils. Nous avons un médecin traitant. En attendant, je préfère qu’il se repose à la maison.
Le Dieu vagabond, Lucile Poulain
Il arriva au village par un petit matin d’automne, alors que la faible lueur de l’aube dispersait les derniers lambeaux de nuit accrochés aux arbres de la forêt. Devinant la proximité des habitations, il s’immobilisa sur le chemin entouré de fougères et de mousse. La lisière du bois apparaissait à quelques mètres devant lui, telle une percée de clarté au milieu de la sombre verticalité des pins. Il serra nerveusement le bâton de marche qu’il tenait à la main. Était-il arrivé ? Allait-il trouver ce repos auquel il aspirait depuis si longtemps ?
Il se remit en route et sortit de la forêt. Blotti dans la combe en contrebas, le village sommeillait encore. Seuls quelques traits de fumée s’échappant des toits de chaume indiquaient la présence d’une vie derrière les murs de bois et de torchis. Le voyageur rejoignit la bourgade et pénétra dans l’allée principale. Il s’arrêta au centre de la localité et s’assit en tailleur en plein milieu de la route. Il ne lui restait plus qu’à attendre que les habitants s’éveillent.
Sang et Sève, Antoine Bernadet
Le domaine avait été glorieux autrefois, avec ses haies bien taillées, ses parterres de fleurs resplendissants et ses vastes étendues de forêt au sein desquelles, tel le joyau d’une couronne verdoyante, était serti le manoir immaculé de ma famille. Il faisait l’envie des roturiers comme des ducs, et les voyageurs chantaient ses merveilles à des lieues à la ronde.
Jusqu’à la malédiction.
Sans même que l’on sût d’où elle venait, elle avait pris le contrôle du domaine. Des bocages idylliques ne restaient désormais que des marécages nauséabonds ; des bois robustes, une canopée sinistre et décharnée. Nul être ne subsistait sur ces terres qui ne fût maudit. Les membres de ma famille, autrefois maîtres incontestés de ces lieux, avaient pris la fuite avant d’être touchés par le mal. Tous, sauf un.
En conséquence, le domaine n’était plus qu’à moi.
Le Gîte et le couvert, Léo Caretta
— Taulier ! Ressers la petite sœur pour moi avant que j’m’énerve !
Les habitués présents ce jour-là ne purent que réprimer difficilement des souffles agacés et des regards mauvais. Ils ne supportaient plus cette voix hautaine qu’ils entendaient sans cesse depuis des mois. L’aubergiste Vertpin, un homme dans la force de l’âge, imposant et respecté des gens du petit bourg, se dirigea d’un pas décidé vers le client belliqueux. Jeune, éméché, vulgaire : c’était un de ces aventuriers à peine sortis de l’enfance qui parcouraient la campagne durant les beaux jours à la recherche de quelque gloire ou fait d’armes prestigieux avant de s’en retourner dans les grandes cités des lacs, une fois l’automne venu. Il différait de ses pairs à bien des égards, mais principalement par la longueur de son séjour à Montgibet. Tous ses compagnons avaient pris congé prestement, et avaient repris les chemins depuis quelque temps déjà. Lui était resté ici, parmi ceux qu’il appelait dédaigneusement et ouvertement des Sans-lames.
L’Outil, Florentin Certaldi
Une heure passa. Le capitaine Barend Fokke, campé devant son cargo, le Silistron, frappait le tarmac de ses bottes, tant de froid que d’impatience. Sa silhouette, déjà naturellement trapue, disparaissait presque sous un épais manteau. Il réajustait sa queue de cheval grisonnante lorsque, soulagé, il aperçut quelqu’un sortir des locaux administratifs. Mais le pas lent du nouveau venu l’exaspéra.
Dès que son copilote fut à portée de voix, il le pressa d’embarquer. Pourtant ce dernier tarda.
— Excuse-moi Barend, certaines affaires à régler…
Seul Victorien nommait le capitaine par son prénom. Il approcha et posa sa main, tachée par l’âge, sur la manche fourrée de ce dernier. Fokke, surpris, croisa les yeux humides de son second, qui enchaîna :
— Ne me compte plus pour ce trajet. C’est fini, j’ai pris ma retraite.
Storia, Brice et Romain Le Roux
Au commencement était la lettre, le signe en suspens et tout ce qui s’ensuit jusqu’à moi-même, Storia de mon état.
Je viens d’un monde qu’il serait vain de vous décrire : la dimension première… l’essence… le contre-espace… l’origine… Peu importe le nom que vous lui donnerez, ça ne le rendra pas plus compréhensible.
À l’instar de mes semblables, j’y suis apparue et j’y ai grandi, à la manière du fruit sur l’arbre, mais la comparaison s’arrête ici. Il n’y a là-bas ni ciel ni terre. Juste une place où évoluer les unes avec les autres, et si certaines d’entre nous deviennent plus vastes ou profondes que les autres, il ne s’agit pas là de croissance au sens où vous l’entendez.
Étherval, c’est aussi :
- Un article BD par Didier Reboussin sur Cortes Maltese, de Hugo Pratt, à travers la BD La Lagune aux beaux songes.
- Un article de Catherine Loiseau sur les anti-héros et autres persona non grata.
- Un article de Hugues Blot sur les IA créatrices
- Le récit interractif “Sortilège originel, de Pierre Sensfelder.
- Une présentation de la Chasse fantôme et une interview de Hermine Lefebvre, signée Rachel Fleurotte.
- Des pages de détente : Quizz, sudoku, mots casés et Missives d’Etherval
Les contributeurs du numéro 17 : « Persona non grata »
Auteurs : Antoine Bernadet, Manu Breysse, Jean Bury, Léo Caretta, Certaldi Florentin, Lucie Heiligenstein, Brice et Romain Le Roux, Lucile Poulain
Illustrateurs : Valéry Blaise Thierry Clet (+couverture), Diddha, Marie Charlotte Granié, Nicolas Giner, Lauren Goniak, Koize, Lebakarau, Julie Limoges, Anthony Oliviera, Theresem, Pixabay
Articles : Didier Reboussin, Hugues Bolt, Rachel Fleurotte, Catherine Loiseau, Pierre Sensfelder.
Mise en page : A.D (papier, epub-mobi) et Stéphane Lesaffre
Correcteurs : Rachel Fleurotte, Hermine Lefevbre, Stéphane Lesaffre
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