Imaginaire d’Asie (Anthologie)

Rusées Renardes, Catherine Loiseau

Dans le Shanghai de 1900, entre modernité galopante et nature magique, suivez la piste des renardes…

— Mes respectueuses salutations. Je suis Shu Lan. On m’envoie auprès de monsieur Wang pour une cargaison spéciale.
Elle fit la révérence, les mains croisées sur le devant de sa jupe. L’homme décolla une paupière ensommeillée.
— On n’a pas de cargaison spéciale, maugréa-t-il.
— Monsieur Lai m’a affirmé le contraire.
Elle tira d’un repli de son vêtement une lettre cachetée. Il la prit, la déplia et la lut.
— Le vieux Lai t’envoie parce que tu sais t’y prendre avec les créatures magiques ?
— Oui, monsieur.

Printemps et Automnes, AF Lune

L’Empereur cherche à divertir sa concubine. Pour elle, il est prêt à toutes les folies. La venue d’un conteur et devin à la cour pourra-t-il redonner le sourire à l’élue de son cœur ?

L’un des gardes l’arrêta. Il lui demanda son identité et le but de son voyage. Le vieil homme lâcha sa charrette et épousseta d’une main lasse son front. Puis, d’un geste théâtral, salua le militaire.

– Je suis Xuanyuan, conteur vagabond. Les vents de l’est soufflent à qui veut les entendre que le roi des Zhou cherche quelqu’un capable d’apporter un sourire à sa compagne. C’est pourquoi je me présente ici, aujourd’hui.

Jusqu’à ce que les pierres deviennent rochers et se couvrent de mousse, Lucile Poulain

Une Japonaise abattue, une Française déracinée, une forêt tourmentée : éclosion d’une rencontre dans un Japon en pleine mutation.

 

La jeune femme percevait vaguement un éclat solaire caresser la canopée, mais en-dessous de l’épaisse frondaison, seule l’obscurité régnait, une obscurité qui aspirait l’âme de ceux qui la sondaient trop longtemps. C’était ce qu’on murmurait en ville. On racontait aussi que tellement de malheureux s’y étaient enfoncés pour mettre fin à leurs jours, que leurs plaintes vibraient entre les arbres.

 

Nés de l’eau, Charlotte Bona

Dans un Cambodge futuriste, ravagé par les inondations, un médecin s’occupe de l’un des dispensaires du pays, alors que sa compagne restée en France tente désespérément de mener une grossesse à terme. Le sort d’un enfant malade va bouleverser ses convictions.

 

Je m’essuie le front comme je peux avec la manche. Mon tee-shirt s’orne de larges auréoles de sueur. Je viderais mon compte en banque pour une douche froide. Ou pour un séjour en Laponie en plein hiver. Pur fantasme d’Occidental du siècle dernier. Entre pénurie énergétique et réchauffement climatique, la fraîcheur devient un luxe sur notre chère Terre.

Les Prières dans le vent, Julie Limoges

Après la mort brutale de son frère, la jeune Sherab s’insurge contre le stoïcisme et l’incrédulité de son village. Elle décide de partir seule vers les sommets à la poursuite de son meurtrier, un terrible migoï. Pour venger son frère, mais aussi récupérer son arc, seule chose pouvant apaiser l’âme du défunt et lui garantir le passage vers la réincarnation.

— Ils se débarrassent de lui comme d’une carcasse embarrassante ! s’outra Sherab. Ils ne savent même pas ce qui l’a tué.
— Des dholes, tenta Lekey, son regard gêné.
— Non, insista Sherab.
— Ne réagis pas comme ça, essaya son amie. S’il te plaît. La douleur est terrible, mais il faut surtout penser à Dechen, à son passage vers la renaissance. Ta colère va perturber son esprit.
— Laisser sa mort impunie et son arc à la boue le troublera bien plus ! s’irrita Sherab.
Elle se leva et partit en courant à travers le pré.

 

Le Chant du cygne rose, Audrey Aragnou

Pour le compte de son ONG, Simon retourne dans la Mongolie de ses ancêtres pour témoigner de la vie et des espoirs des habitants dans un monde devenu exsangue par la pollution.

 

Quand l’Organisation Mondiale de Préservation du Climat, ONG qui avait vu le jour en 2029, avait cherché un volontaire pour la Mongolie, Simon avait levé la main dans l’assemblée et tous les regards s’étaient tournés vers lui.
À ce moment, la photocopieuse avait, comme à son habitude, fonctionné sans que personne ne l’utilise et une feuille était sortie avec un message : « Martian Go home ».

La Horde verte, Marie Angel

Dans une Chine ancienne uchronique, Xiu, une automate perfectionnée, fait face à une invasion de sylvhuns, des créatures végétales démesurées.

 

 

Soudain, Xiu crut discerner au loin une ondulation parmi la cime des arbres. Elle affina sa mise au point en conséquence. Là ! Des frémissements agitaient bien la futaie en divers endroits.
— Il me semble discerner plusieurs sylvhuns, voire une horde, annonça-t-elle.

 

L’Eclosion, Laura Peunck

En Corée du Nord, des fonctionnaires haut placés ont profité que leur dirigeant se soit désintéressé de la politique pour entamer des réformes qui ne sont pas sans danger.

 

— Notre charismatique leader insiste pour assister à une démonstration militaire sur la base de Tanchon.
— Il veut y aller en personne ? répondit Sim-Bin qui se rendit compte que sa question pouvait paraître inadaptée étant donné que le bien aimé président était décédé depuis quatre ans.

Les Ténèbres Vertes, Rémi Przybylski

À Séoul, capitale mondiale du transhumanisme, une nature sombre et angoissante devient envahissante : les Ténèbres Vertes…

Autour de lui, les gens fonçaient en tous sens. La foule ressemblait à un essaim d’abeilles dans lequel il était emprisonné et serpentait. Au loin, des cris. Une dizaine de personnes se retournèrent et lui firent face, désordonnées, le percutant. Il ne bougea pas d’un pouce. Une liane avait éclaté la fenêtre d’un commerçant et frappait le trottoir, zébrant le bitume de fissures. Par une plaque d’égout, de nombreuses racines remontaient et rayonnaient dans toutes les directions, se propageant en ondulant.

Le Volcan de Bangka, Yann Quero

Le capitaine de La Perle Perdue accueille sur sa goélette un groupe de Français en déplacement professionnel dans les eaux de Bankga. Le voyage ne s’annonce pas de tout repos.

À l’approche de Noël, nombre de personnes fortunées se pressaient vers les îles d’Indonésie à la recherche de chaleur et de soleil. Le capitaine Kus ne s’en plaignait pas. Son gagne-pain consistait à balader des touristes en mal d’exotisme à bord de sa goélette. Sauf que la fin décembre correspondait au pic de la saison des pluies, c’est-à-dire au pire moment pour visiter l’archipel, et particulièrement là où ses nouveaux clients voulaient se rendre, à Bangka, près de Sumatra. À la rigueur, certaines des îles de la Sonde comme Flores ou Sumba offraient un temps clément, ou bien le nord des Moluques. Mais pas Bangka !

 

Mékong, Stéphane Lesaffre

Longtemps après l’apocalypse nucléaire, un équipage remonte le fleuve Mékong et découvre la nature retrouvée.

 

— Cap sur l’embouchure du Sông Hậu.
Il s’agissait du bras du delta du Mékong le plus éloigné de Saïgon, le plus occidental, que l’on nommait aussi Bassac en khmer. Il remontait jusqu’à Phnom Penh, au Cambodge. Et à partir de là, personne ne savait ce qu’ils découvriraient. Ils comptaient bien être les premiers à explorer ces terres depuis plusieurs siècles et, à part l’impassible officier Bao, tous faisaient montre d’un état d’esprit unanime, mélange de fierté et d’appréhension.

La Mugunghwa écarlate, Manu Breysse

Corée, cent ans après que la nature ait vaincu le monde des Hommes, Young-jae, chasseur, et Seo-hyun, chamane, s’aventurent dans la terrifiante jungle qu’est devenue la zone démilitarisée. Lui a survécu maintes fois aux dangers de la surface, elle prétend communiquer avec les esprits de la nature. Tout les oppose, pourtant, devant une menace insoupçonnée, ils vont devoir s’allier pour survivre.

— Permettez-moi de vous inviter avec nous, ajeossi, s’inclina Seo-hyun aussi poliment que leur différence d’âge le réclamait.
— Quoi ?!
Le chef du village s’avança vers lui. Il paraissait mal à l’aise, jetant des regards en coin à sa femme.
— Young-jae, je… je ne pensais pas que ça serait nécessaire, mais c’est la volonté des esprits. Pour que cette chasse soit fructueuse, tu dois accompagner le groupe. Nous avons perdu une dizaine de chasseurs en moins d’un mois. À ce rythme, nous ne pourrons plus suffisamment nourrir notre groupe. D’après les mudangs, un nouvel esprit malin, bien plus dangereux que d’habitude, rôde dans les parages. Sans ton aide, nous risquons la catastrophe.
— Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’autant de chasseurs sont tués. Mais attribuer ces pertes aux esprits est farfelu. Ce ne sont que des sornettes…