Numéro vingt-troisième : Sub sole

Au Crépuscule, de Catherine Loiseau

Je me glissai dans la foule dont la clameur m’assourdit. On beuglait des slogans plus ou moins inventifs. J’en braillai quelques-uns. À la fois pour me mêler à mes camarades. À la fois parce que je me sentais coupable d’utiliser cette marche pour les droits des nocturnes comme couverture.
Je suivis le cortège à travers ces jolies rues blanches et étincelantes. Les forces de l’ordre encadraient la manifestation. Fées, humains et elfes n’attendaient qu’un seul débordement pour frapper. Réprimant ma colère contre les diurnes, je me rappelai que je n’étais pas là pour la justice sociale, mais bel et bien pour un contrat. D’ailleurs, j’arrivai en vue de ma cible. Je lorgnai vers une superbe demeure…

Cinquième palier, d’Éléonore Plan

Je bascule la goupille, la lampe s’allume. La lumière tremble, vacille, mais demeure. J’y vois enfin dans la pénombre et le compteur se met en marche. L’ombre derrière moi vient de poser un premier pied sur le sol du tunnel, puis un second avant de s’écarter lentement de l’échelle qui nous y a conduits. Le halo quelques mètres plus haut s’éteint, l’accès s’est fermé. D’après l’étiquette sur sa poitrine, X2-484 m’accompagne. Il n’a rien prononcé depuis notre descente. Comme tous les veilleurs, il respecte le protocole. Pas de mots, pas de signes, juste une ombre, une ombre vouée à disparaître pour sauver son Étoile, moi, ingénieure de la Division bleue, responsable du dernier palier. Son casque et sa combinaison sont noirs, couleur absurde dans les tunnels de Nocturna. Cependant, l’unité X2 est connue pour sa force et son efficacité, elle se plaît à rappeler sa supériorité en s’exhibant en tenue sombre.

La Luministe, de Nicolas Skinner

Elle n’y croyait plus. Lorsqu’elle avait lu le résultat positif de l’autotest après y avoir déposé une goutte de sang, elle s’était empressée d’appeler sa mère Lucile, qui vivait en Bretagne, dernier bastion d’un climat à peu près tempéré.
— Mais pourquoi donc as-tu dépensé une fortune pour ce test à la noix ? s’était indignée Lucile.
— Je viens de le recevoir gratuitement, suite au tirage au sort national.
Et heureusement qu’elle l’avait gagné, car elle n’aurait jamais eu les moyens de mettre un demi-salaire dans un autotest certifié HALO. Salaire qu’elle ne recevait plus, depuis que son poste de développeuse web avait été remplacé par ChatGPT9 dans son ancienne entreprise.
— Mouais, de toute façon, il y a de nombreux faux positifs, avait nuancé sa mère. Plus de 60 %, si j’ai bien suivi.
— C’est pour ça qu’il faut leur expédier le test, pour qu’ils le valident.
— Mais plus de 30 % de ceux qui ont le gène n’arrivent pas à contrôler la lumière et ne deviennent jamais Luministes, il me semble, avait insisté Lucile.
— Ah là là, toi et les statistiques. Comme on dit, 100 % des gagnants ont tenté leur chance !

Le Coffret, d’André Hotte

— Mon cher neveu, je requiers ton aide pour résoudre un mystère qui a coûté la vie à plusieurs personnes, lui annonce-t-il sans préambule. J’y suis des plus déterminés depuis que mon confrère du Cercle des Lumières, l’émérite professeur Joseph Phillisbury, que j’ai rencontré à plusieurs occasions, est mort dans d’étranges circonstances.
— Que s’est-il exactement passé ? demande Edward en se dressant sur son siège.
— Il est décédé de manière tragique, comme les victimes sur lesquelles il enquêtait, lui réplique Pauline d’une voix inquiète.
— En effet, à la demande des forces policières, il tentait de faire la lumière sur ces crimes hors du commun, poursuit le père.
— On l’a trouvé recouvert d’une substance noire et visqueuse, ajoute Pauline avec gravité.

PFH, de Charlotte Bona

— C’est quoi PFH ?
Il ricana.
— Ah ! C’est ce qui fout le bazar depuis que l’homme existe, Juliette ! C’est ce con d’Orphée qui se retourne au dernier moment et perd Eurydice ! C’est Égée qui se suicide parce que cet abruti de Thésée ne hisse pas les voiles de la bonne couleur ! […]

Les mêmes étoiles qui se multipliaient au-dessus de ma tête ce soir, étincelant d’un éclat de plus en plus vif. Je tentai quelques pas de danse, les bras en l’air. Les paroles de la chanson écoutée en boucle pendant mes révisions me revinrent à l’esprit. J’en chantonnai le refrain, en tournoyant dans les herbes hautes, lorsqu’une pluie d’étoiles filantes traversa la nuit. Je m’arrêtai, la gorge nouée par le spectacle magnifique. Vite, un vœu. Je serai une grande avocate ! Je sauverai la biodiversité ! Puis la honte m’envahit, de son goût âcre. J’avais oublié Alexandre. Alors je fermai les yeux et criai aux étoiles :
— Je fais un vœu pour que le meilleur nous arrive !

L’Ombre sans homme, de Thierry Caspar

Je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Littéralement.
Ça me pendait au nez : je me suis trop laissé aller. Clope et biture, hygiène suspecte, fumette à l’occasion. Plutôt soft quand on y pense, mais à la longue… J’avais l’impression que mon corps se perforait peu à peu, comme une sculpture de sable sous la pluie. Je me désintégrais. […]

Donc voilà où j’en suis : je me suis réveillé en pleine rue, il y a quelques heures. Ironie du sort, devant la façade d’un Crystal Beauté Institut, un des franchisés du mari n° 2. Il me narguait avec son slogan en grosses lettres collées sur sa vitrine : « Prenez soin de vous enfin. Cédez à votre envie. ». Deux lignes bien impératives, j’aimerais l’y voir, à ma place !

Le Pont aux nuages, de Joël Le Galudec

L’Ombre qui avait besoin de lumière, de Soha

Piotr frappa avec humeur les touches du piano, qui protestèrent dans un son discordant et indigné. Il s’entraînait depuis des heures sur la Polonaise  héroïque de Chopin et il n’arrivait pas à restituer correctement ce passage.
Il se retourna. Il monopolisait la scène du prestigieux Grand Théâtre de la capitale, où la représentation se déroulerait le lendemain soir ; c’était Jean qui avait insisté pour qu’il s’exerce sur les lieux des spectacles, de toute façon, chez lui, il y avait trop de distractions. Là, les projecteurs braqués sur lui, face à la salle vide, il se sentait surveillé comme un suspect entre deux enquêteurs lors d’un interrogatoire, et obligé de fournir des réponses. Il cria à haute voix :
— Oui, sauf que moi, je suis libre de mes faits et gestes ! Et ça suffit !

Étherval, c’est aussi :

• Interview de Julie Limoges, autrice du Soleil des hommes.
• Un article de Didier Reboussin sur les Pionniers de l’espace, BD de Poïvet de Lecureux
• Les conseils de lecture, de films & séries des membres d’API
• Les Missives d’Etherval